Such a mess !

"Pourquoi me suis-je réveillé encore aujourd'hui ? Je pensais que le chapitre de la veille n'avait pas besoin de suite.

"Retirez l'amour et le rêve de la vie, et elle redevient ce qu’elle a toujours été : Une simple succession de tâches."

C'est avec cette pensée qu'il a ouvert les yeux ce matin. Dans sa cage défoncée, le réaliste contemple l'œuvre de l'amoureux. L'ampleur des dégâts causée par ce rêveur ne lui plaît pas. Tout cela pour aller construire ailleurs dans le monde de l’irréel , un jardin d'Éden pour son amoureuse imaginaire. À force de se perdre dans ces pensées, sa demeure était encerclée par les eaux, ces arbres ravagés par les sauterelles, mais tout ce qu'il voyait était une rivière qui coule et des oiseaux qui chantent.

Il faut dire que le rêve a failli côtoyer la réalité  lorsque ces deux mondes étaient si proches, ils ont failli se toucher, se caresser, se regarder, se contempler… mais ont fini par s'éloigner, peut-être à tout jamais.

Son amoureuse maîtrise ce jeu à la perfection : L'art divin d'être si proche et si loin. Les fondations de l'univers imaginaire dans lequel elle existe reposent sur un sable mouvant.

Le réaliste en a eu assez. Il n'aime pas ça. Il n'aime pas voir l'amoureux souffrir et souhaite l'aider à s'affranchir de cette douleur. Le réaliste ne voit en l'amour que faiblesse et souffrance inutiles. Pourquoi autant de prise de tête alors que la vie est simple : "Getting the job done". Il y a des tâches, des responsabilités, des factures à payer, des projets à accomplir. Il suffit de tout planifier, de tout organiser pour que la vie puisse continuer et que le travail soit fait. C'est aussi simple et réel que cela.

Le cœur, un ralentisseur de succès. L'émotion, une faiblesse de l'esprit.
Le rêve, un voile de la réalité. 

Pour lui, la raison doit être le moteur de cette vie. Il y a tellement de choses à faire que le cœur n'a pas sa place.

"Such a mess!"...

L'amoureux, déshydraté et à bout de souffle, voit le soleil qui éclairait son monde imaginaire se coucher. La nuit tombe, et le réaliste, déchaîné, arrive avec les menottes.

En traversant les champs de coquelicots, il ne peut s'empêcher de penser à la beauté des lèvres de sa bien-aimée. Les tournesols orphelins en face de lui lui rappellent le regard doux mais asséché de son amoureuse.

Seul le calme assourdissant de la nuit et le faible éclairage aveuglant de la lune restent dans son monde. Il s'approche de sa cellule. Elle ne s'appelle plus "waiting room". En haut de la cellule est écrit désormais "hiding room".

Le réaliste, motivé comme jamais, est prêt à prendre la relève. Tout est chantier. Et tout est à refaire.

Il faut remettre de l'ordre et de la rigueur partout. Il faut rattraper le temps perdu.

"Order from Chaos" est désormais son "leitmotif".

Dans un monde sans tracas amoureux, tout devient limpide. Il y a tellement de satisfaction lorsque les objectifs sont atteints, et le monde autour de nous subit notre tempo, et non l'inverse.

Le réaliste mène désormais la danse, orchestre la mélodie et décide de qui chante.

Au fin fond de sa cellule, l'amoureux contemple les vastes chantiers menés par le réaliste et les nuisances sonores générés par autant de détermination et de force, et ne peut s'empêcher de dire... : "Such a mess!"